Tchad : le puissant clan Itno déroule le tapis rouge au farouche opposant d’un système séculaire et dynastique

Article : Tchad : le puissant clan Itno déroule le tapis rouge au farouche opposant d’un système séculaire et dynastique
Crédit: wikipedia commons
25 novembre 2023

Tchad : le puissant clan Itno déroule le tapis rouge au farouche opposant d’un système séculaire et dynastique

Deux semaines après son retour inopiné et moins de 24 heures après son discours aux militants, le farouche opposant au régime des itno, le Président du parti les Transformateurs, Dr Succès Masra est reçu au palais présidentiel par Son Excellence, le général Mahamat Idriss Déby Ino. Qui avait cru que ceux qui faisaient le jeu du chat et de la souris allaient se retrouver sous un même toit pour décortiquer les maux qui gangrènent et désintègrent le tissu socio-politico-économique de leur pays? Après tant d’accords politiques infructueux dans le passé, celui-ci apportera-t-il enfin la paix tant recherchée par le peuple du Tchad?

D’un exil « forcé » à un retour discret sur la terre des ancêtres

Après les événements sanglants du 20 octobre 2022 ayant coûté la vie à une cinquante de personnes selon le gouvernement, plus de 300 morts selon le parti Les Transformateurs, les Ongs et les partis de l’opposition notamment Wakit tamma, de nombreux pionniers de l’opposition civile ont dû fuir le pays de Toumaï (terre de l’hospitalité). L’opposant Succès Masra, selon ses propos « je ne suis pas un exilé politique, je suis venu porter la voix de mon peuple auprès de la communauté internationale », saisit l’occasion pour faire la navette entre la Maison Blanche (Washington) et l’Elysée (Paris) et se dit porteur de message de son peuple sur la scène internationale.

A quelques jours du funeste anniversaire de la manifestation violemment réprimée dans le sang, le chef des Transformateurs annonca tout à coup son retour sur la terre de ses aïeux en fixant une date : le 18 octobre 2023. Cette date retentit comme une bombe atomique au tympan des dinosaures et vieux caïmans d’un régime vieux de 33 ans. Le parti au pouvoir qui, depuis quasiment un an, avait eu un peu de répit, et dormait sur son oreiller, sursauta, se réveilla, tendit les oreilles, se redressa sur ses pattes et concocta son plan machiavélique pour empêcher le retour de celui que beaucoup considérait comme le « messie », le « sauveur » d’un peuple asservi. Ne sachant qu’elle arme utilisée, les gladiateurs et les va-t-en guerre du « royaume » des itno remuèrent terre et ciel, tous les casiers judiciaires où ils extirpèrent un vieux dossier poussiéreux datant de juin 2023. Ils la divulguèrent, la presse s’en saisit et en fit un tollé. Un mandat d’arrêt international est lancé contre celui qui est devenu le « nguru » des diplômés sans emploi, des sans voix, des laissés pour compte et des marginalisés de la société civile. Du coup, Dr Succès Masra prétextant craindre un autre accrochage entre les siens et les « mercenaires » de Déby II (Mahamat Itno), annula la date de son retour tant attendu par « son peuple ». Ledit mandat d’arrêt est un chapelet interminable d’accusations dont voici la teneur :

  • Tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel ;
  • Atteinte à l’autorité de l’État ;
  • Incitation à la haine et à un soulèvement insurrectionnel ;
  • Atteinte à l’intégrité du territoire nationale ;
  • Atteinte contre les institutions de l’État.

L’accusé réfute toutes ces accusations et les trouvent non fondées en les traitant de « vrai faux mandat d’arrêt ». Comme le coup fatal d’un boxeur, ce qu’il qualifia de mensonges politiques montés de toutes pièces contre sa personne, semble l’étourdir et lui ôter un peu le sommeil. Dans la foulée, « le Président du peuple » saisit Paris et le facilitateur de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) pour scruter cette affaire de plus près. La médiation de la CEEAC en la personne du Président congolais FélixTshisekedi porte des fruits.

Le 31 octobre 2023, à Kinshasa, le Congolais réussit à réconcilier les deux rivaux tchadiens. Le pouvoir de N’djaména fut représenté par deux de ses ministres, celui de la Réconciliation nationale Abderaman Koulamallah et de la Communication Aziz Mahamat Saleh. L’autre partie engage bien sûr le fondateur du parti Les Transformateurs entouré par ses lieutenants dont son vice-président Dr Yombatina Béni. Le point focal de cet accord de principe est l’amnistie de toutes les personnes qui sont dans le collimateur de la justice tchadienne dans un camp ou dans l’autre. De facto, le mandat d’arrêt émis contre le leader du « peuple » est suspendu. Cet accord ne fait pas l’unanimité au sein de l’opposition et la société civile. Yaya Dillo du parti Socialiste Sans Frontière (PSF) et Max Kemkoye le président national de l’Union des démocrates pour le développement et le progrès (UDP) dénoncent une obstruction à la justice et martèlent que nul n’est au-dessus de loi. Les responsabilités de la répression sanglante et barbare du jeudi 20 octobre 2022 doivent être situées. Ainsi, les autres partis de l’opposition (la coalition wakit tamma), les politico-militaires non signataires de l’accord de Doha, la société civile, … ne se sentent pas concernés par l’accord de Kinshasa. Selon, Masra, la transition a fait un pas, le parti Les Transforformateurs a aussi fait pas et le Tchad fait un pas vers la justice et l’égalité.

Dr Succès MASRA, le Président du parti Les Transformateurs. Crédit photo: Wikipedia Commons
Dr Succès Masra escorté par « son peuple » au Palais de Justice. © Wikipedia Commons

Du Balcon de l’Espoir au Palais Rose

Dans un après-midi calme, ensoleillé, sous un ciel pur, ce 03 novembre à N’djaména, les militants de Dr Succès MASRA ont été surpris par le retour de leur leader après une réconciliation avec le clan Itno, 72 heures plus tôt. Après quasiment un an d’exil, pourquoi « le Président du peuple » remet-il les pieds sur la terre de ses ancêtres en toute discrétion sans un accueil triomphant à l’aéroport ? Quelles sont en définitive les bases de cet accord de principe signé le 31 octobre à Kinshasa sous l’égide du Congolais Félix Tshisekedi » ? Telles sont les questions suspendues sur les lèvres de ses partisans et sympathisants.

Pour beaucoup, l’essentiel est que leur chef soit là et en forme pour la marche vers la terre promise ; terre d’abondances et de libertés. Une période de recueillement de 40 jours a été décrétée en honneur des victimes du « jeudi noir ».

En revanche, à peine deux semaines après son retour dans le calme au pays natal, Dr Succès Masra, rompt le silence en pleine période de deuil et recueillement en mémoire des membres du parti, tombés sous les balles réelles des militaires et policiers. Ce dimanche 19 novembre 2023, à partir de 15 heures, une marée des militants envahit l’espace du « Balcon de l’Espoir » pour écouter le premier discours au grand public de  leur guide politique. Après un bain de foule en ébullition et l’observation d’une minute de silence en mémoire des « martyrs » de la justice et de l’égalité, la prêche commence et dure environ une heure. Contrairement aux messages d’avant 20 octobre, ce fut un discours non incisif, apaisant les esprits vifs, pansant les plaies encore béantes et appelant à la réconciliation avec le camp d’en face. Il invite ses militants à dire non à la vengeance non pas par faiblesse ou capitulation mais dans un élan patriotique pour qu’ensemble ils bâtissent un Tchad juste et prospère. Avec un peu d’humour, le plus célèbre homme du 7e Arrondissement de la ville de N’djam évoque la co-gestion de la chose publique. « Désormais mon « frère », le général Mahamat Idriss Déby et moi allons être les co-pilotes de la transition. Nous aurons, certes, des zones de turbulences, mais ensemble, nous conjuguerons nos efforts pour poser en toute sécurité, toute douceur, toute quiétude la transition à l’aéroport de la démocratie où nous attendent la justice et l’égalité». Ces paroles, comme de l’huile jetée sur le feu, enflamment la foule qui laisse éclabousser une pluie d’applaudissements. Comme pour ne pas offenser, le camp des Itno, désormais allié, Succès esquive les points chauds et culminant sur lesquels le peuple et le gouvernement de « Kaka » l’attendaient. Il s’agit de l’amnistie des auteurs du massacre de ce triste jeudi et le référendum éminent sur la forme de l’Etat (unitaire fortement décentralisé ou fédéral) qui se tiendra le 17 décembre prochain. Le leader des Transformateurs n’a pas du tout mentionner le mot référendum dans son discours. Aucune orientation, aucune consigne de vote n’a été donnée aux militants pour le vote du 17décembre. Interrogés, les « supporters » de l’opposant se disent qu’ils ont toujours confiance à leur leader car il sait pertinemment sur quel terrain il pose les pieds.  Certains se réservent et préfèrent laisser le temps juger ce virage à 180 degrés. La messe politique prend fin par un hymne national et le prédicateur de ce dimanche regagne sa villa sous une pluie d’acclamations.

Moins de 24 heures après son discours, le Tchadien qui était si peu de temps auparavant le plus recherché par la justice de son pays est reçu par son désormais ex-rival le Général Mahamat Déby au palais présidentiel. « Nous sommes là pour donner suite à l’accord de Kinshasa qui est un accord de réconciliation. Nous sommes venus annoncer notre disponibilité à mettre sur la table les solutions qui aideront à résoudre les questions que les Tchadiens se posent de jour en jour et pour permettre au Tchad de se développer. », laisse entendre l’opposant de retour sur la terre de ses ancêtres. Le Président de la transition, Déby fils se dit toujours prêt à travailler la main dans la main avec tout le monde. Il tend toujours la main à l’opposition y compris les politico-militaires. Cette rencontre s’est déroulée sous la présence du ministre congolais du Transport et Voies de communications Didier Mazenga Mukanzu, envoyé spécial du facilitateur de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (Ceeac), le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Un militant Transformateur. Crédit photo: Veivra Noël
Un grand meeting des Transformateurs au stade de N’djaména. ©Wikipedia Commons

Les attentes du peuple tchadien

Le citoyen lamnda qui, après la dictature des années 80 de Hissein Habré, espérait aspirer à la paix et au développement sous le vent de la liberté et de la démocratie en 1990, croupit toujours sous le poids de la misère. Malgré l’exploitation de l’or noir depuis 2010, le masse broie le noir dans le noir (manque d’électricité, de combustibles et une cherté de vie incompréhensible, inexpliquée et inexplicable). En vérité, le clan Itno est au bord du chaos car il ne résout pas les problèmes cruciaux de la population: chômage, corruption, clientélisme, pauvreté, … Toutes ces tares sont nourries par une impunité macroscopique presque légiférée. L’homme le plus recherché du Tchad, et qui à la surprise de ses militants vient de tendre la main au fils de celui qui pendant 31 ans avait mené le peuple en bateau, pourra-t-il peser de sa popularité pour changer les choses de l’intérieur? Laissons le temps au temps pour juger et mesurer la portée de cette réconciliation inespérée.

Le logo du parti Les Transformateurs. Crédit photo: Wikipedia Commons
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