Référendum : N’djaména refuse de participer au jeu politique où l’arbitre est l’adversaire lui-même

Article : Référendum : N’djaména refuse de participer au jeu politique où l’arbitre est l’adversaire lui-même
Crédit: Common Wikipédia
22 décembre 2023

Référendum : N’djaména refuse de participer au jeu politique où l’arbitre est l’adversaire lui-même

Dimanche 17 décembre, huit millions d’âmes sont appelées à définir la forme de l’État en terre Sao. Le Tchad, depuis la mort tragique et subite du Maréchal Idriss Déby Itno, le 21 avril 2021 et surtout après la dissolution de la constitution de 2018 par la junte militaire dirigée par le fils du défunt Président, cherche à retrouver le chemin de la démocratie. Le nouvel homme fort du pays a voulu recollé les épaves d’un Tchad disloqué. Il organise un dialogue national inclusif et souverain à l’issue duquel le peuple tchadien peut choisir de redonner une forme et un fond à ses textes constitutionnels.

Les enjeux du vote

En trois semaine, le Tchad en général et N’djaména en particulier était en « ébullition électorale ». Débutées le 25 novembre, les campagnes référendaires ont pris fin le 15 décembre, soit 48 heures avant le jour « J » du vote. En effet, après deux ans et demi de transition et surtout après la dissolution de la constitution que certains hommes politiques de l’opposition appellent coup d’État constitutionnel, Tchadiennes et Tchadiens sont conviés(es) aux bureaux de vote. Au menu de ces différents lieux d’invitation, il n’y a que deux mets à déguster : le « Oui » ou le « Non ». C’est à gober ou à boycotter ! Le « Oui » pour le choix d’un État unitaire « fortement » décentralisé dont la constitution est déjà taillée et limée avec précision par le Conseil National de Transition (CNT) et largement vantée par le Mouvement Patriotique du Salut (MPS), parti politique fondé par le Maréchal dont le fils porte désormais le flambeau et ses nombreux alliés. Le « Non » porte allégeance à un État fédéral. Ce second choix, selon la transition, est un poison qui porterait les germes d’une division, d’une scission, d’une ségrégation, d’une désunion, etc. qui risquerait de dynamiter le paysage socio-politico-culturel dont Son Excellence Mahamat Idriss Déby Itno a entrepris l’unification dès sa prise de pouvoir. En revanche, il y a un groupe de partis d’opposition avec un certain Yorongar Ngarléji, celui qui s’était farouchement opposé à Déby 1er avant de disparaître du ring politique. Ces formations politiques ont battu campagne pour le « Non » et démontrent que la fédération est une porte de sortie de la crise socio-économique dans laquelle le Tchad est plongé. Le fédéralisme est une voie qui mènerait vers la transparence dans la gestion de la chose publique, la justice donc le développement du pays. D’ailleurs, le Tchad a été depuis toujours un Etat unitaire qu’il soit centralisé ou fortement décentralisé, il a déjà été adopté par le passé. Ainsi, pour cette frange partie des partis d’opposition, le meilleur «plat» à savourer lors de cette « invitation électorale » est le « NON ».  Entre le « Oui » et le « Non », il y a des partisans du boycott. Ceux-ci ont été invisibles sur le terrain lors des campagnes car ils seraient intimidés par quelques agents de force de l’ordre qui les sommeraient de se taire et d’arracher leurs logos, affiches et banderoles sur tous les lieux publics.

Le jour du vote à N’djaména

Ce dimanche 17 décembre, le jour du vote, à N’djaména, les commerces ont été momentanément fermés. Sous un ciel bleu clair où l’on peut voir quelques nuages cotonneux courir et parfois se bousculer, les bureaux de vote s’ouvrent lentement dans les différents arrondissements de la capitale. Les hommes et femmes vêtus de gilets verdâtres sur lesquels l’on peut lire CONOREC (Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel) sont les agents de vote. Ils observent et supervisent le déroulement du vote. Après avoir fait, en quelques heures, le tour de la capitale tchadienne à bord de ma bécane, le constat est amer et catastrophique. Aux principaux ronds-points et carrefour de la ville, la police anti-émeute a stationné des camions dont l’apparence vous fera hérisser les poils. Ce sont des véhicules capables de cracher l’eau chaude ou du gaz lacrymogène.  Cette disposition a été prise par précaution afin d’étouffer dans l’œuf toute moindre manifestation des partis politiques qui ont appelé au boycott du référendum. Nous devrions souligner que le carnage du « jeudi noir » a laissé une plaie non cicatrisée dans les cœurs n’djaménois. Ce qui expliquerait probablement l’aspect morose de l’atmosphère dans la plus grande ville du pays. Bien que la coalition Wakit tama boycotte ce qu’elle qualifie une mascarade référendaire où le chef de la junte est à la fois joueur et arbitre, les N’djménois ne voudraient pas revivre la journée cauchemardesque du 20 octobre 2022. Sur les artères, le traffic est très calme et très fluide, N’djam ressemble à une ville fantôme.  Dans chacun des bureaux de vote où  je me suis rendu, l’on peut apercevoir un lot de cartes d’électeurs qui moisissent dans un carton. Quelques rares électeurs viennent les ramasser, posent furtivement les yeux dessus. Certains comme par étonnement retrouvent leurs cartes, les retirent, reçoivent les bulletins de vote et vont glisser l’un des deux choix dans la boîte électorale faite en matière plastique.  Vers l’après-midi, dans le 7e Arrondissement, j’interpelle une connaissance du quartier engagée dans le comité d’organisation. Celle-ci, prise à l’écart, me décrit à très basse voix l’atmosphère du bureau. « On se croirait au cimetière ou à une place mortuaire car il régnait un silence. » me laisse entendre ce trentenaire et observateur national. « Depuis le matin, il n’y a que quelques personnes qui s’approchent de nous pour accomplir leur droit et devoir citoyen » poursuit-elle. « Malgré la présence d’un bon thermos rempli de thé vert placé au milieu des verres, la fatigue se dessine sur nos visages. Pour chasser le sommeil et surtout éviter de bâiller, j’avale une bonne dose de cette tisane afin de garder la tête sur les épaule » enchaîne-t-elle.  Ce constat est quasiment le même dans près que toutes les cellules de vote dans lesquelles j’ai enfoncé ma bécane. Voulant recueillir les impressions des concitoyens en ce jour très important et historique, je reçois des réactions comme celles-ci : « Pourquoi aller voter, c’est une perte de temps. Le « OUI » a déjà été programmé pour remporter ». Ou encore « A-t-on déjà eu une élection libre et transparente dans ce pays ? ». Le pire, certains me disent ouvertement de m’effacer, de partir car ils en ont ras-le-bol d’un système qui, au lieu d’assurer la transition, transmet le pouvoir du père au fils.

Un bureau de vote. © Common Wikipédia

Les réactions après la fermeture des bureaux de vote

Dès la fermeture des bureaux de vote, au crépuscule, hommes ou femmes politiques, acteurs de la société civile, citoyen lamnda, les médias, … donnent leurs versions de cet événement mémorable. L’un des principaux opposants au régime inamovible et inébranlable des Itno, Max Kemkoye, président de l’Union des démocrates pour le développement et le progrès (UDP) et membre du Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP), regroupement qui a appelé au boycott, dit avoir constaté un “désert électoral” et estime un taux de participation inférieur à 5%. Le numéro un du Parti Socialiste sans Frontières (PSF) se félicite et remercie le peuple tchadien qui a observé massivement le boycott. « Les Tchadiens de par leurs différences ont choisi de ne pas cautionner cette mascarade électorale malgré la publicité gratuite menée par le camp du ‘’oui’’ », dit-il. La transition a subi une défaite très humiliante d’un peuple qui a marre d’un système esclavagiste. Quant aux autorités aux affaires, elles ont préféré se taire et garder leur calme. Ce n’est que le lendemain que la transition, toute mouillée, se sauve la face en faisant entendre sur les antennes de la RFI que le boycott n’a été observé que dans quelques quartiers de la ville de N’djaména notamment les 6e, 7e et 9e arrondissements. Pour elle, sur l’ensemble du territoire national, sans donner un chiffre, le taux de participation est satisfaisant car le peuple a exprimé librement son choix. Il faudrait signaler que l’un des principaux opposants voire le farouche au régime de Déby fils, Dr Succès Masra, qui a soudainement effectué un virage de 180 degrés à tombeau ouvert en se ralliant au gouvernement et ayant appelé publiquement ses militants à voter « OUI », n’a laissé aucun commentaire.

Dans l’attente des résultats du vote

Quelle cacophonie électorale ! D’une part, le porte-parole de la fédération de l’opposition crédible (FOC), Monsieur Yaya Dillo Djerou Betchi déclare : « Les Tchadiens ont réagi fort à notre message de boycott. Ils ont décidé de ne plus cautionner cette mascarade électorale de la junte militaire ». D’autre part, le Premier Ministre et toute sa bande disent qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. De toutes les façons, le dénouement de cette bataille référendaire s’annonce compliquer. Le peuple tchadien doit garder son calme et attendre le 24 décembre, s’il plaît à Dieu, pour savoir vers quelle direction soufflera le vent de la réforme. Selon la FOC, la défaite est totale, les autorités de la transition malgré les moyens financiers monstrueux employés lors de la campagne pour l’achat des consciences, le peuple tchadien a exprimé son ras-le-bol au système de prédation, d’inégalité et d’injustice sociale. Cette fédération poursuit par la voix de son représentant en disant : « Vu le taux de participation très dérisoire la junte n’a pas d’autre choix que l’annulation pure et simple du référendum de 17 décembre 2023 et de réorganiser une table-ronde fondée sur la vérité et la sincérité ».

Que diront la CONOREC soumise au diktat du jeune khalif du palais présidentiel et les observateurs nationaux et internationaux ? En attendant, les Tchadiens et particulièrement les N’djaménois, déserteurs du jeu politique arbitré par un compétiteur exceptionnel et hors-la-loi, doivent retenir leur souffle.

Une urne de vote. © Pixabay
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