N’djam, les raisons bouleversantes de la fracassante démission du directeur de la voirie municipale

Article : N’djam, les raisons bouleversantes de la fracassante démission du directeur de la voirie municipale
Crédit: Veivra Iye Darfine Noël
24 juin 2023

N’djam, les raisons bouleversantes de la fracassante démission du directeur de la voirie municipale

A peine arrivé, aussitôt parti ! La nomination de l’activiste Ahmat Haroun Larry, le « Premier Maréchal de la société civile » n’est qu’un feu de paille !  Nommé directeur de la voirie à la mairie centrale de N’djaména, le 24 mai 2023 à la surprise générale, l’activiste jette aussi l’éponge par surprise en annonçant publiquement sur sa page facebook sa démission, ce 17  juin 2024. Quelques jours après la tempête de colère, dans un après-midi ensoleillé, sous un ciel pur, après maintes faufilements dans les ruelles boueuses du quartier Paris-Congo, je m’infiltre dans ses quatre murs. Là, je préleve avec précision la température de ce qui était son environnement professionnel. Chers internautes, chers lecteurs et cher public n’djaménois, voici aux millimètres près, les raisons qui ont poussé le tout jeune et fraîchement nommé directeur à la voirie de la coquette capitale N’djam a claqué violemment la porte de sa direction.

Ahmat Haroun LARRY, l’ex Directeur de la voirie municipale de N’djaména.
Crédit photo: Ahmat LARRY

Propos recueillis par Veïvra NOEL


Êtes-vous un activiste ? Si oui, pourquoi ? Qu’est-ce que vous défendez ?

LARRY : En vérité, je porte plusieurs casquettes. L’on m’attribue souvent celle d’un activiste que je réfute souvent car elle a parfois une connotation négative. D’ailleurs, les activistes sont connus pour leurs agitations. Ils agissent parfois sans tenir compte des garde-fous juridiques. Je me proclame « Objecteur de conscience ». Un acteur de la société civile car à travers mes critiques, j’apporte ma pierre à l’édification de la nation. Je suis le président du Groupe de Réflexion sur l’Avenir et la Construction du Tchad (Gractchad), le Secrétaire général du Collectif des Associations et Mouvements des Jeunes du Tchad. J’appartiens à plusieurs organisations de la société civile. En plus d’être un chercheur, un écrivain, je dis tout haut ce que je pense être bon pour et aux populations. Lors de mes déclarations, de mes coups de gueule contre la mauvaise gestion de la chose publique, lors de mes multiples sorties médiatiques, beaucoup me confondent aux activistes. Chacun est libre de dire ce qu’il pense de mes propos. En tout cas, je me positionne comme un acteur de la société civile qui milite ardemment pour un changement positif.

Comment êtes-vous propulsé à la tête de la direction de voirie de la mairie de N’Djaména ? Est-ce par un Arrêté signé par Son Excellence Monsieur le Président de transition Mahamat Idriss Déby Itno ou juste par relation comme on le dit souvent au pays ?

LARRY : Je suis l’une des rares personnes qui critiquent la gestion chaotique de la mairie centrale. D’ailleurs, le fait de vouloir trop scruter de près les « mouvements financiers » de cette institution, j’ai failli laisser ma peau, vous devriez vous en souvenir. J’ai été appréhendé trois fois et victime de plusieurs tentatives d’assassinat. Pour mes opinions contre la commune centrale, j’ai été jeté en prison pendant trois mois. J’ai beau militer pour le bon fonctionnement de la commune de la capitale. Sans prétention, je suis aussi l’un des rares acteurs de la société civile qui ont eu l’opportunité de travailler avec les différents élus du Tchad dans la gestion communale. Il y avait un projet financé par l’Union européenne qui pendait depuis 2018. L’objectif du projet était la bonne gouvernance locale en commençant par la mairie centrale face aux difficultés rencontrées. Pour mes critiques contre certaines activités très louches des maires qui se sont succédés à la commune, j’ai été plusieurs fois sollicité pour occuper des postes de responsabilité que j’ai maintes fois déclinés car j’ai mes principes. Si mes principes ne sont pas respectés, je ne peux pas accepter occuper le moindre poste donné car la gestion de la cité nous incombe tous. Si la sincérité, l’honnêteté, la transparence, le patriotisme, etc. sont absents de la gestion de la chose publique, je n’y m’engage pas. Cette fois, ils m’ont sollicité en me disant : « Comme vous critiquez toujours négativement la gestion communale, nous voudrions savoir ce que vous pouvez apporter comme nouveauté ». Pour cette énième sollicitation, après un long entretien avec Madame la Maire, j’ai cédé et accepté d’enfiler le costume du directeur de la voirie de la mairie centrale. Donc, pour répondre d’une manière directe à votre question, je n’ai pas été nommé par un Arrêté ministériel ou présidentiel. J’ai été nommé par Madame la Maire.

N’avez-vous pas convoité ou sollicité ce poste ?

LARRY : Je n’ai jamais sollicité un poste aussi grand qu’il soit ! Ceux qui me connaissent depuis les bancs du secondaire et de l’université vous le diront. Les différents postes des organisations civiles que j’occupe m’ont toujours été proposés. Par mon charisme, mon honnêteté, ma sincérité, ma dévotion, mes compétences, etc. j’ai souvent été sollicité. Je ne me suis jamais porté candidat à un poste. Dès qu’il n’y a pas la transparence dans le travail accompli, je suis prêt à me barrer.

Quelles ont été vos motivations avant votre nomination au poste du directeur de la voirie de N’Djaména ?

LARRY : Le peuple tchadien doit prendre conscience de la situation cataclysmique dans laquelle il se trouve. Le respect des droits fondamentaux et libertés des concitoyens. Nous sommes tous égaux devant la loi. Les compatriotes doivent revendiquer ce qui leur revient de droit. Nous devons prendre notre destin en main. Il est vrai que nous vivons dans un monde compétitif, très concurrentiel et parfois cruel. Cependant, il est très anormal qu’un groupuscule s’empare du gâteau national et laisse la masse périr. Le gâteau national doit être partagé équitablement. J’ai toujours combattu pour le droit des jeunes, des femmes et surtout pour l’égalité et la justice dans notre pays.

Quelles ont été vos principales attributions à la voirie ?

LARRY : J’avais quatre départements sous ma direction. Voici les rôles que doit assumer ma direction :

  • Gérer les stocks (matériels et matériaux de la commune) ;
  • Gérer et entretenir les patrimoines communaux, les parcs automobiles de la commune ;
  • Contrôler l’éclairage public, les panneaux de signalisation et les feux tricolores ;
  • Planifier et organiser les travaux d’entretien sur le terrain ;
  • Participer à l’élaboration, au dépouillement et à l’instruction des dossiers techniques d’appels d’offre,
  • Coordonner les travaux d’entretien courants des espaces verts, mettre en œuvre les plans et stratégies de gestion des espaces verts ;
  • Exécuter les programmes municipaux d’investissement dans le domaine des bâtiments, des travaux publics et des ouvrages hydrauliques de la voirie ;
  • Représenter la commune dans les réunions nationales ou internationales à caractères techniques.

Monsieur Larry, qu’est-ce qui cloche au sein de votre direction ? Il y a quelques jours, votre vidéo est devenue virale (buzz) sur les réseaux sociaux, pourriez-vous nous en dire plus ?

LARRY : En toute sincérité, rien et absolument rien ne marche dans mon service. Le bordel n’est pas seulement au niveau de la voirie, c’est toute la commune qui prend l’eau. Premièrement, soyons francs. Toutes les communes du Tchad, juridiquement parlant n’ont pas un statut. C’est par patriotisme que j’ai accepté de retrousser les manches et me mettre au service de la population. Malheureusement, le secrétaire général de la commune qui prétend être nommé par un décret présidentiel agit en maître absolu. En vérité, ce n’est pas Madame la Maire qui pilote la municipalité de N’Djaména. Toutes les prérogatives relatives aux services de voirie (éclairage public, pavoisement, embellissement des espaces verts, parcs automobiles, curage des caniveaux, appels d’offre…) ont été arrogées par le seul maître à bord à savoir le secrétaire général de la commune. Donc, vous pouvez déjà imaginer le rôle que je joue dans cette ordure. Je ne suis qu’un bonhomme implanté et figé au bureau. Les autres membres ne peuvent pas dénoncer ce genre de comportement malsain, incivique, arrogant, irrespectueux parce qu’ils sont mouillés et noyés. Je n’ai pas été désigné à ce poste pour faire le figuratif, me taire et me contenter de mes acquis. Comment pourriez-vous accepter que le curage des caniveaux qui est l’une des principales tâches de la voirie soit fait par une autre entreprise sous-traitante. Pourtant, la commune a des techniciens et ingénieurs formés et compétents qui veulent vraiment travailler. Tenez-vous bien ! Savez-vous à combien s’élève le service d’une société sous-traitante ? Ces entreprises fictives, pour une moindre tâche qui peut bel et bien être accomplie par nos techniciens à l’interne, sont payées à hauteur de 21 millions, 40 millions voire 100 millions de francs CFA. Quels gâchis ! Quelle déperdition ou hémorragie financière ! Le pire, comment pourriez-vous travailler dans une commune comme celle de N’Djaména avec trois vieilles bennes défectueuses ? Paradoxalement, les maires et autres responsables roulent en V8 et autres grosses cylindrées. Le véhicule affrété par l’Agence Française de Développement (AFD) pour le déplacement des agents de la commune a été saisi et envoyé hors du périmètre urbain pour un compte privé. Il a fallu que je hausse le ton en frappant le poignet sur table pour que cet engin soit remis au service de la voirie, trois jours avant ma démission. Il y a tant de comportements très louches que je ne peux pas tout relater. Après à peine 25 jours de service, je démissionne en gardant ma dignité et mon honneur vis-à-vis du peuple tchadien.

Que voudriez-vous dire à ceux qui étaient vos supérieurs ?

LARRY : Le seul message que j’ai pour eux est ceci. Ils doivent mettre fin à la dilapidation des fonds des contribuables et travailler pour le bien-être de la population. Qu’ils cessent de commettre des malversations (détournement des biens de la commune, maltraitance des agents, le favoritisme, le clientélisme, etc.).

Quel message avez-vous à donner à la jeunesse, aux autorités civiles et militaires ?

LARRY : La jeunesse tchadienne ne doit jamais désespérer. Elle doit toujours croire à un lendemain meilleur en s’inspirant de bons exemples de celles d’autres pays. Le Tchad nous appartient. C’est à nous de prendre nos responsabilités en mettant la main à la charrue. Aucune puissance extérieure ne viendra travailler à notre place. Quant aux autorités militaires, elles doivent faire très attention car le pays sombre dans le chaos. Après trois décennies du même régime et surtout militaire, nous déplorons la situation catastrophique dans laquelle le Tchad patine. L’instauration de la démocratie en 1990 par le Maréchal Idriss Déby avait suscité tant d’espoirs qui, malheureusement, se volatilisent et ceci est très dangereux pour notre pays.

Seriez-vous prêt à endosser un autre costume si la mairie centrale ou le Président de transition vous confie une autre tâche ?

LARRY : Je suis le premier maréchal de la société civile. Donc, je suis un soldat toujours prêt à travailler pour l’intérêt général ou national. Cependant, l’on doit me laisser travailler dans la transparence, l’honnêteté, la franchise, la sincérité, le respect, le patriotisme, etc. Sinon, je serais aussi prêt à dénoncer toute forme de mal gouvernance et à abandonner le poste pour lequel je suis affecté en demeurant un citoyen redevable à ma patrie.

Que répondriez-vous à vos détracteurs qui pensent que vos multiples sorties médiatiques visaient une place autour de la mangeoire du parti actuellement aux affaires ?

LARRY : La société a toujours été ainsi. Les êtres humains n’ont pas épargné Dieu le Tout-Puissant, lui-même, qui les a créés. Donc, un simple individu ne doit jamais faire exception. Il faut aussi bien analyser les critiques. Le plus souvent ces critiques acerbes contre ma personne émanent de ceux qui étaient aux affaires et géraient très mal la chose publique. Ceux qui me connaissent et savent ce que je fais doivent me juger sur mes actions. Je ne suis pas de ceux qui disent : « Faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais ». Je dis ce que je fais et pense. Je ne me cache pas car ma vie est publique. D’ailleurs, c’est tout à fait normal que je sois critiqué car je ne cesse pas, moi non plus, de parler de tout ce qui ne marche pas dans la société. En tout cas, mes juges sont la population et le Souverain Maître qui nous a créés à son image.

Monsieur Larry ne serait-il pas tenté par la politique ?

LARRY : Ecoutez ! J’ai une maîtrise en sciences politiques. Mais, faire la politique à la tchadienne une carrière, je n’en veux pas. Je n’appartiens à aucun parti politique car aucun homme politique n’a pu me convaincre par son idéologie. La « politique normative et authentique » est celle que je pratique quotidiennement en luttant pour le bien-être de mes concitoyens.

Pourquoi aviez-vous sillonné la capitale un certain temps avec un linceul sous le bras ?

LARRY : J’ai été menacé à mort par un groupe de militaires qui m’accusent à tort de les avoir insultés. Ces derniers me donnent un ultimatum en me sommant de quitter le Tchad sinon ils me mettront deux mètres sous terre ! Ne dit-on pas qu’un cabri mort n’a pas peur de couteau ? Ainsi, pour prouver à ces hors-la-loi que je suis un mort vivant, j’ai parcouru les quartiers de N’Djaména avec mon linceul sous le bras. Ce groupe de militaires dont je connais les supérieurs a fini par cesser les menaces sous la pression populaire.


Si après plus de 60 ans d’indépendance, les Tchadiens sont incapables de bien diriger la municipalité de la capitale que peut-on penser d’autres grandes structures, de grands secteurs ou grandes institutions? Chers compatriotes, ce n’est ni l’Occident, ni l’Orient, ni le Moyen ou le Proche-Orient qui viendra bâtir le Tchad pour nous et à nos petits-enfants. Comme Monsieur Ahmat Haroun LARRY, nous devons tous être des artisans pour le développement de notre nation. « Peuple Tchadien, débout et à l’ouvrage ! Ta liberté naîtra de ton courage », comme le dit si bien notre hymne national.

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