Le cadeau du premier jour de l’an : Masra hérite la Primature

Article : Le cadeau du premier jour de l’an : Masra hérite la Primature
Crédit: wikipedia commons
4 janvier 2024

Le cadeau du premier jour de l’an : Masra hérite la Primature

Après la démission du gouvernement d’union nationale suite au résultat final du référendum du 18 décembre, la Primature était vacante. Il fallait lui trouver un occupant et pas n’importe lequel. Après avoir entretenu le suspense et ayant maintenu un certain nombre de Tchadiens dans l’insomnie, comme le père Noël, le Président Mahamat Idriss Déby Itno vint surprendre le peuple en pleine fête, le premier jour de l’an avec un présent inattendu ! Dr Succès Masra, l’opposant le plus redouté par le clan Itno, est désigné pour succéder à Saleh Kebzabo. Aura-t-il les moyens nécessaires pour sauver ce paquebot tchadien qui tangue et prend l’eau de tout côté ? La primature est-elle le but de la signature de l’accord de Kinshasa ? Tant de questions se bousculent dans la tête et débordent sur les lèvres du citoyen tchadien lamnda.

Meeting des Transformateurs à N’djaména. Crédit photo: Wikipedia Common

L’avant 20 octobre

Après la mort tragique et subite du Maréchal Idriss Déby Itno, la junte dirigée par son fils, le Général Mahamat Idriss Déby Itno, s’empare des rênes du pouvoir. Des voix civilo-politico-militaires s’élèvent et dénoncent un coup d’État institutionnel car le nouvel homme fort du pays dissout le parlement qui devrait en toute logique assurer l’intérim. Cette junte annonçait aux Tchadiens qu’elle a pris le pouvoir pour préserver l’intégrité du territoire et éviter que le Tchad sombre dans le chaos suite à l’attaque rebelle ayant causé la mort du Maréchal. Elle promet de ne pas excéder 18 mois de transition et après quoi le bâton de commandement doit être remis aux civils. Au terme de cette période, le tout jeune khalife et plus puissant homme du pays parvient à ramener au bercail quelques activistes, exilés politiques et farouches opposants au régime de celui qui était appelé le « Gendarme de l’Afrique ». Après des tiraillements avec l’opposition civile, une grande messe, appelée dialogue national inclusif et souverain (Dnis), a été dite. À la fin de cette messe, il a été décidé que la transition soit prolongée et que le fils du défunt président soit maintenu au sommet de l’État. Ceci a été une pilule de trop à avaler pour l’opposition qui voudrait découdre avec la tyrannie des Itno (33 ans au pouvoir, s’il vous plaît !). La coalition de l’opposition et Les Transformateurs de Dr Succès Masra donnent un ultimatum à la transition qui ne rétrograde pas. Cette dernière obsédée par le pouvoir ne lâche pas prise. Les militants de l’opposition et les jeunes mis à la marge de la chose publique descendent dans la rue et ce fut une manifestation d’envergure dans plusieurs grandes villes du pays. Les forces de l’ordre et l’armée dite nationale répriment dans un rapport de forces très disproportionnées les manifestants. Le bilan est très lourd, plus de trois cent morts et des centaines des arrestations selon l’opposition et les Ongs nationales et internationales. Dr Succès Masra, l’un des cerveaux de ce soulèvement, s’évade et quelques mois plus tard réapparaît à la Maison Blanche puis à l’Elysée où il disait plaider pour la cause de « son peuple » asservi et meurtri.

L’après 20 octobre

Environ un an après cette triste journée du jeudi 20 octobre 2022, le leader des Transformateurs brise le silence et annonce son retour sur la terre de ses ancêtres. Cette nouvelle fait tressaillir la transition qui, depuis ce jour très sombre, avait retrouvé un répit, un calme précaire car les manifestations étaient strictement interdites et la psychose planait au milieu des jeunes effrayés par la violente répression. Tout à coup, le gouvernement de Saleh Kebzabo rénifla les tiroirs très poussiéreux où sont empilés les casiers judiciaires et sortit un mandat d’arrêt désuet, classé sans suite et le brandit au média pour une propagande contre la personne de Dr Succès Masra. Ce dernier, probablement un peu paniqué, interrompit les préparatifs pour son retour triomphal au nom de l’ordre public et de sécurité nationale.

L’un de ces quatre matins, le 31 octobre 2023, « l’information tomba sur la tête » du citoyen tchadien lamnda, par surprise et avec étonnement, comme une pluie en pleine saison sèche. Les ondes radiophoniques et les médias d’une manière générale se saturent en parlant d’un accord de principe qui avait été trouvé à Kinshasa entre la transition impopulaire et le « messie » Succès Masra. N’ayez pas encore terminé la digestion de cette information abracadabrantesque, le peuple est informé par les médias notamment RFI, que Dr Succès Masra est arrivé cet après-midi du 03 novembre à N’djaména ! « Nous avons chacun fait un pas vers l’autre» fait-il comprendre. Il décrète 40 jours de deuil en mémoire de toutes les victimes du carnage du jeudi noir. Étant très familiarisé avec son public, il rompit le deuil annoncé et tint un meeting quelques jours après son retour. Au cours de cette communion avec son « peuple », le « sauveur » tenta d’apaiser la tension très vive entre lui et ses partisans qui ne comprennent pas ce virage à 180° puis celle entre la transition et les parents des victimes majoritairement issues des Transformateurs. Enfin, ce messie tenta d’administrer quelques remèdes pour panser les plaies fraiches et béantes laissées par les meurtrissures engendrées par la barbarie de cette journée tristement mémorable. C’était en pleine période référendaire. Il devrait en principe se prononcer sur le référendum qui vient au galop. L’opposition dans sa généralité opte pour le NON (État fédéral). Une autre mouvance de cette opposition appelée Wakit Tama appelle au boycott du scrutin. Selon elle, les conditions ne sont pas réunies pour un vote transparent. « Nous ne pouvons pas participer à un jeu où le joueur est lui-même l’arbitre » dit-elle. Le numéro un de l’opposition, désormais allié de la transition, après avoir gardé un silence, joue au caméléon et appelle subitement à voter OUI (État unitaire) comme le veut la transition. C’est un autre coup de massue qu’il assène à ses militants dont la majorité pense voter Non ou boycotter le référendum. Malgré l’alarme tiré par l’opposition au sujet du taux de participation très faible (qui ne dépasserait pas les 5%), le résultat est promulgué et le OUI du camp de la transition remporte avec un score vertigineux supérieur à 85%. Dr Succès Masra, comme atteint d’une paralysie aigüe, immobilisa sa langue habituellement très active et « tranchante » dans la cavité buccale et laissa passer la tempête référendaire dans ce que l’opposition appela un « désert électoral ».

Dr Succès Masra, Président du parti Les Transformateurs.
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L’ascension à la primature

Après avoir dirigé le gouvernement d’union nationale et post Dnis, le Premier Ministre, Son Excellence Saleh Kebzabo, devrait en toute logique se retirer et faire place à une autre équipe. Cette dernière aura pour mission de poser les jalons pour le spring final de la transition devant déboucher sur les élections libres, transparentes et crédibles. Ainsi, la démission du chef de gouvernement était un secret de polichinelle. La surprise vient du poulain choisi ou du prochain « perroquet » qu’il faut dare-dare mettre en cage. Plus de 48 heures, la primature était vacante, les Tchadiens retenaient leur souffle et attendaient d’écouter sur les ondes de la radio nationale le nom du nouveau chef de gouvernement. Comme il n’y avait aucun écho, l’on a préféré dissoudre son anxiété causée par une telle longue veillée dans l’euphorie du premier jour de l’an. C’est à cet instant précis où les Tchadiens en général et les N’djaménois en particulier avaient la tête en l’air, emportée et plongée dans les mouvements festifs que le très jeune « khalife » décida de dévoiler le nom du prochain locataire de la Primature. À peine prononcée, la nouvelle inonda à débit impressionnant les réseaux sociaux et les médias d’une manière générale. Dr Succès Masra, le Président du parti Les Transformateur, est le prochain poulain qui doit hériter le portefeuille de la primature.

Les réactions mitigées de la rue

Les uns s’égaient, s’enjaillent et se congratulent. Les supporters et « adorateurs » de Dr Succès qui ont appris la « bonne nouvelle » étant dans les débits de boisson, ont doublé voire triplé leur dose habituelle d’alcool ! D’autres, par contre, demeurent évasifs, et se sentant un peu « trahis ». « Non, non et encore non, Succès ne devrait pas accepter ce poste » tonna nerveusement un quadragénaire. A la question « pourquoi ? », avec un léger bégaiement peut-être causée subitement par cette fureur, il poursuivit : «En prenant place, lui-même à la table où dînent les démons de ce système impopulaire, à coup sûr, il perdra des plumes à la grande bataille électorale ». Un autre groupe de jeunes surexcités non loin du Q.G des Transformateurs dans le 7ème Arrondissement disent avoir toujours confiance à leur guide car il sait ce qu’il fait. C’est un homme très sage et malin. « Nous sommes patients car la terre promise n’est plus loin ! » disent-ils.

Les attentes du peuple

Le Tchad, malgré les trois décennies du clan Itno au pouvoir, est l’un voire le pays le plus pauvre de la planète. L’éducation, la santé, l’agriculture, la sécurité, la justice, l’énergie, les infrastructures, etc. il n’y a aucun secteur épargné par la mal gouvernance d’un système prédateur qui en 33 ans a mis tout un peuple à genoux. Le tout nouveau chef de gouvernement, contrairement à ses prédécesseurs, aura-t-il plein pouvoir pour essuyer les larmes du peuple tchadien oublié par ceux qui devrait le servir ? Sur le plan éducation, depuis le début de l’année scolaire 2023-2024, les écoles publiques sont fermées. Les enseignants sont en grèves. Les enfants des parents pauvres sont à la maison. Ceux qui sont de la moyenne classe ont inscrit leurs enfants dans les privées. « À cause des grèves répétitives et des perturbations scolaires, j’ai déplacé toute ma famille à Kousserie (extrême nord du Cameroun) », explique un parent très courroucé. L’administration est paralysée par une corruption endémique. Les diplômés sont dans la rue, les débits de boissons et le secteur tertiaire. L’excellence n’a pas droit de cité au « royaume » des Itno. La cherté de vie a atteint une limite inimaginable. Le coût de vie élevé est aggravé par la flambée du prix des combustibles chez les détaillants. L’insécurité est galopante. Dans les provinces, les campagnes, les enlèvements contre rançons sont monnaie courante. Les conflits agriculteurs et éleveurs sont récurrents. Bref, les misères du peuple tchadien constituent un très long chapelet que Dr Succès Masra doit égrener jusqu’à la fin de la transition. Le cadeau du nouvel an offert par Son Excellence Mahamat Idriss Déby Itno à son ex fervent opposant ne serait-il pas empoisonné ? Les jours prochains apporteront la lumière à cette interrogation.

Le logo du parti Les Transformateurs.
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