Les derniers week-ends du mois à N’djam

Article : Les derniers week-ends du mois à N’djam
Crédit: Pixabay
8 novembre 2023

Les derniers week-ends du mois à N’djam

A N’djam, les week-ends qui bouclent le mois sont toujours explosifs malgré la cherté de vie sur l’ensemble du territoire national. La morosité du climat socio-polico-économique n’empêche pas les jeunes « branchés » et « cablés » de la capitale du pays des Sao à bringuer, s’évader comme pour fuir leurs galères. Généralement en cette période du mois, par effet magique ou angélique, N’djam se réveille, s’émerveille, s’égaie en dissimulant momentanément ses lamentations et gémissements.

Le mois touche à sa fin, N’djam en mode festive

Tic-tac, les secondes s’égrènent, les jours filent comme une étoile filante, les semaines et les mois se succèdent. Les années passent mais N’Djaména, contrairement à d’autres villes de la sous-région, ne se métamorphose pas du point de vue architectural. Au contraire, les week-ends, surtout ceux qui marquent la fin du mois, dans les quartiers « chauds », « branchés », « connectés », mouvementés et effervescents, se ressemblent, se mesurent et se concurrencent en cadences, vibrations et sonorités musicales. La fréquence des activités de réjouissance s’amplifie, s’intensifie lorsqu’un mois se meurt lentement et se fait succéder par un autre. Vers la fin de chaque mois, l’on croirait que tous les N’djaménois sont des agents de l’État (fonctionnaires). Beaucoup de chauds gars et de belles nanas bringueuses ont toujours ce langage sur les lèvres : « Oh mon gars ou ma chérie, le virement (salaire) là n’est pas encore passé ? ». On dirait que « le virement » est la marque d’une de nombreuses boissons importées vendues sur la place ou celle d’une voiture des mariés comme l’on est en week-end ; jours (vendredis et samedis) de la célébration des mariages souvent pompeux à la municipalité centrale de N’Djaména.

L’Avenue Mgr. Mathias Ngartéry (Axe CA7 appelé « Axe Babylone »). Crédit photo: Veïvra I. D. Noël

Avenue Mathias Ngartéry appelée Axe Babylone

En un dernier week-end du mois, je vous invite à vous joindre à moi et à faufiler l’une de ces rues poussiéreuses où l’alcool coule à flots. Par hasard, empruntons la rue baptisée Monseigneur Mathias Ngartéry (en mémoire et honneur au feu Archevêque de N’Djaména) au quartier Chagoua dans le 7ème Arrondissement de la coquette capitale. Cette avenue appelée Axe CA7 en référence au commissariat dudit arrondissement est connue également sous l’appellation de « Axe Babylone » (Ville des pécheurs Cf. la Sainte Bible) par les habitués, les noctambules et initiés du petit coin. Ici, les bars dancing, les buvettes ou débits de boissons sont à la queue leu-leu. Les hôtels, les auberges appelées par effet dissuasif hébergements ne sont qu’à un petit crochet, un petit détour ou au plus un jet de pierre de ces lieux où l’on court le risque de se noyer dans un océan d’alcool. En vérité, il faut noter que ces établissements sont des « vraies industries alimentaires ». Grâce à eux de nombreuses personnes joignent les deux bouts du mois. En commençant par les conducteurs des mototaxis appelés « clandomen » (clandestins) dont beaucoup sont des diplômés sans emploi, les gardiens (vigils) des parkings, les vendeurs et vendeuses de poissons (maquereaux) braisés, viandes grillées, les ambulants, etc.

Dans ces endroits « éveillés », le soleil ne se couche jamais ! En d’autres termes, si les activités dans un tel lieu explosif sont interdites ou mises en veilleuse, la ville est dite morte, paralysée et tant de ménages risqueraient de s’éclater, s’ébranler, se fondre ou partir en fumée, faute d’argent. En nous rapprochant de Khadi Milamem, une quadragénaire et tenancière d’un bistrot de la place, nous apprenons qu’elle nourrit huit bouches et scolarise six âmes avec ce travail car son mari n’a pas une situation financière stable. À côté de madame Khadi, se trouve un jeune charcutier Youssouf Brahim, à qui nous parvenons à soutirer quelques précieuses informations sur son chiffre d’affaires après avoir dégusté un plat de « marara » (boyaux) bien chaud et pimenté. Ce dernier nous siffle ceci à l’oreille : « Je rends grâce à Allah le Tout-Puissant car en dépit de la cherté de vie qui réduit drastiquement le pouvoir d’achat de mes clients, je récolte en moyenne 80.000 francs CFA (123 euros) par jour ».

Une pluie de billets d’invitation

En général, calme comme l’eau qui dort dans la jarre d’un célibataire fauché par la galère, N’djam se réveille soudainement vers la fin du mois, bat très fort ses ailes et lance son cocorico comme pour annoncer l’aurore qui marque le début des « hostilités » ou plutôt des soirées festives. Un petit détour dans les quartiers explosifs, tumultueux notamment Moursal appelé Marseille, Paris-Congo (en souvenir du Rallye Paris-Congo), Ardep-djoumal appelé Harlem, Chagoua dit Chicago, Walia (Washington), Habbena (Abidjan), Dembé (Dallas), etc., pour découvrir l’effervescence, l’ambiance surchauffée des « branchés » et inhaler l’odeur presque opaque et suffocante des parfums émanant des nanas très sexy et excitées à la course de premiers clients.

Dans ces quartiers, sur certaines rues, les bars, les alimentations, les cabarets (débits de boissons traditionnelles et locales), les auberges appelées par modestie hébergements ou hôtels sont alignés en série comme les guirlandes de Noël. Parfois, l’on peut être apostrophé, interrompu et se voir tendre un billet d’invitation à une « tontine » (soirée) souvent appelée « Pari-Vente et/ou Carpe ». Nombreux sont les jeunes de la capitale qui tendent des « embuscades » à la fin du mois, lors des fêtes de Ramadan, Noël, Pâques, Nouvel An, etc. pour distribuer ces billets ironiquement appelés « Convocation ». Malheur au copain (bébé) ou à la copine (nana) qui ne se présente pas le jour « J » au lieu (bar) indiqué. À ce lieu, les prix des consommations grimpent. Compris généralement entre 650 ou 800 FCFA (la bouteille de sucrerie ou d’alcool), les prix passent à 1.000 FCFA ou 1.500 FCFA. Ceci pour permettre au promoteur, ou promotrice, de la soirée dansante de gagner un peu d’argent. Car celui ou celle qui « convoque » investit une certaine somme d’argent pour louer le local toute une soirée, le débit de boissons en plus de la sonorisation. Ainsi, les recettes de la journée reviennent au locataire. D’où le mot « Pari ». Car l’on peut s’en sortir « Gagnant(e) » ou « perdant(e) » dans ce « business périlleux ».

C’est aussi généralement dans ces lieux que certains fonctionnaires, pères de famille, viennent engloutir leurs pitances du mois entre les mains ou plutôt entre les cuisses et les seins de leurs maîtresses oubliant qu’ils n’ont pas payé le loyer, les factures d’eau et d’électricité, la nourriture, la scolarité de leurs enfants, etc. S’il est vrai que ces lieux nourrissent tant de bouches et de ménages, il est aussi vrai qu’ils fracassent tant de foyers et brisent tant de cœurs.

Le parking d’un bistrot sur l’Axe CA7. Crédit photo: Veïvra I. D. Noël

Pour botter la pauvreté hors de nos frontières, que chaque chef de ménage, homme ou femme, se comporte comme un entrepreneur qui, avant d’investir, fait des projections en déterminant les tenants et les aboutissants de ses affaires. Que l’on soit célibataire ou marié(e), nous devons avoir un comportement sobre, modéré vis-à-vis de l’alcool afin d’épargner pour les jours à venir car personne ne sait pas comment sera le lendemain. L’État doit aussi réglementer la création de ces lieux de détente, de jouissance, recréation, etc. afin de permettre à sa jeunesse de se concentrer sur son éducation, son émancipation, son épanouissement, etc.

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