Au pays de Toumaï, l’agriculture et l’élevage sont en guerre

Article : <strong>Au pays de Toumaï, l’agriculture et l’élevage sont en guerre</strong>
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24 avril 2023

Au pays de Toumaï, l’agriculture et l’élevage sont en guerre

L’agriculture et l’élevage, mamelles de l’économie tchadienne, perdent de leur robustesse. Les principaux acteurs de ces deux leviers économiques, chaque saison des pluies, se dressent les uns contre les autres, s’accrochent et s’entredéchirent dans un bain de sang.

Un champ de maïs, crédit photos Pexels

Le conflit sanglant entre agriculteurs et éleveurs

La faim chasse le loup hors du bois. Le réchauffement climatique et son interminable chapelet de malheurs, l’assèchement très rapide des cours d’eau temporaires et la disparition d’herbe fraîche, poussent les éleveurs à sortir de leur zone. Ces derniers à la recherche de verts pâturages et de points d’eau descendent progressivement de la zone sahélienne (Nord et Centre du Tchad) à la rencontre des premières pluies : c’est la transhumance. Cette dernière occasionne le rapprochement (géographique, seulement) entre éleveurs-nomades (avec le bétail) et agriculteurs-sédentaires (qui restent à proximité des champs labourés dans lesquels les cultures sont à maturité).

Un troupeau de bœufs en transhumance, Crédit Photos Pexels

Au Tchad, les activités qui concernent à la fois l’agriculture et l’élevage, dites « agropastorales », sont jusqu’à nos jours rudimentaires et archaïques. Les autochtones (sédentaires) pratiquent toujours une agriculture itinérante sur-brûlis et extensive, donc traditionnelle. Cette technique consiste à défricher plusieurs hectares de terre par le feu afin de maximiser le rendement. C’est ce qui occasionne également la proximité des deux communautés « rivales ». Les troupeaux de bœufs affamés, assoiffés et exténués par un long trajet, à peine arrivés sur un espace verdoyant, se jettent sur les tiges, les épis de céréales à maturité et les dévorent avec volupté sous les regards dociles et complices de leurs « maîtres ». Cette destruction de champs est la flamme qui allume la mèche de la dynamite. Du coup, un conflit sanglant se déclenche entre ces deux communautés qui constituent les piliers de l’économie tchadienne.

50% des incidents communautaires liés aux conflits entre agriculteurs et éleveurs

Les conséquences qui découlent de ces tristes événements périodiques sont cataclysmiques. L’Organisation des Nations Unies (ONU), dans un rapport très accablant publié en novembre 2022, avait affirmé que les affrontements intercommunautaires au pays de Toumaï avaient engendré plus de 500 morts, 600 blessés et plus de 7000 déplacés. Plus de la moitié d’entre eux sont liés à des conflits entre agriculteurs et éleveurs.

Le pire reste encore à craindre car cette tension intercommunautaire se polarise. Les éleveurs, en quasi-totalité musulmans, possèdent des armes à feu qui leur auraient été fournies par certaines élites du pouvoir de confession musulmane. De leur côté, les autochtones agriculteurs, chrétiens ou animistes, se ruent sur toute sorte d’armes blanches (couteaux de jet, sabres, machettes, haches, …) pour leur autodéfense. Les jeunes, dépaysés et démotivés par la dévastation régulière de leurs champs, désertent les campagnes et créent une explosion démographique urbaine. Cette absence des mains d’œuvre est le canal par lequel la famine se répand à vitesse exponentielle dans les villages et par ricochet dans les villes. Sur les marchés, les consommateurs et les autorités publiques assistent impuissamment à la flambée des prix des denrées alimentaires. Le volume du panier de la ménagère diminue drastiquement. En somme, une crise socio-économique gagne l’ensemble du pays. Si les autorités de N’Djaména ne mentionnent pas ces affrontements à tournure interconfessionnelle dans leur agenda, ce qui semble être une petite étincelle s’embrasera. Et, le pays de Toumaï, berceau de l’humanité, sombrera dans un chaos irréversible : la guerre civile.

Éteindre la flamme dévastatrice

Pour éradiquer ce fléau, les autorités traditionnelles (chefs de terre, de village, coutumiers, etc.), religieuses (pasteurs, prêtres et imams), administratives (gouverneurs, préfets, sous-préfets, etc.), militaires et judiciaires doivent travailler en symbiose. Dans les différents lieux de culte, les messages de paix, de tolérance, d’amour, d’unité nationale et de réconciliation doivent retentir. Les séminaires et ateliers qui prônent la cohésion sociale et la stabilité politique ne devraient pas seulement se tenir dans les grandes agglomérations, mais aussi en ruralité. Les échanges doivent s’étendre sur les terrains et en plusieurs langues vernaculaires. Les médias, notamment les radios rurales et communautaires, jouent aussi un rôle très important dans la cohésion du tissu social.

Toutefois, des garde-fous doivent être érigés afin de freiner les éventuels récalcitrants dans leur élan. D’où l’entrée en lice des autorités militaires et judiciaires. Les premiers pourraient procéder au désarmement systématique et sans délai des agriculteurs et éleveurs détenant illégalement des armes de guerre. Les seconds réglementeraient le nomadisme sur l’étendue du territoire tchadien en traçant les couloirs de transhumance et feraient appliquer les textes du Code Pénal en cas de non-respect. Enfin, pour freiner le flux de transhumance, l’Etat tchadien pourrait, par l’intermédiaire des bailleurs de fonds, se doter des industries de transformation de viande, peau, ossements, etc. Les éleveurs qui exportent du bétail sur pieds vers les pays voisins (Nigeria, Cameroun, RCA) n’auront plus aucune raison de parcourir une longue distance car les acheteurs (entreprises) seront déjà sur place. Ces compagnies, en plus de limiter le déplacement du bétail, absorberont un grand nombre de jeunes sans emploi.

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